La complainte des pronoms personnels
Ecrit par Yamina Mansour
CEM de Bouafia
Hassi Bah Bah Djelfa


Je ne mange pas toute seule. Je partage, avec moi.
Ma table mise et mes repas, dans mon jardin.
Mon pain rassis et la splendeur de mes vétustes biens.
Mon chat qui dort et le frou-frou de mes oiseaux
Qui osent se poser, dans la paume de ma main.
Mélancolie teinte de joie et toutes mes choses
Ont l’air d’avoir l’air de rien.
Toutes mes vétilles, crédulités, absurdités… que je chéris,
Comme mon enfant, entre mes chères,
Bonnes petites mains.

Je ne pense pas toute seule, je partage, avec toi.
Ton impétueuse rage et ton flegmatique rire serein.
Tes hargneuses humeurs et ton café noir du matin.
Tes rêves gardés, sous un silence que je détiens.
Tes peurs qui hésitent de marcher sur mon chemin.
C’est un chemin que j’ai frayé, il y a longtemps, juste sans toi.
Mais l’on partage malgré nous, la touche que « Dieu »
A pu semée, aux bouts des plumes de nos mains.
Tes amitiés sont toutes absoutes de leurs chagrins,
Dans l’eau qui sue, dans l’eau limpide de mes mains,
Que j’ai lavé, avec mes chères bonnes petites mains.

Je n’écris pas toute seule. Je partage avec lui
Son encrier asséché et ses vers qui m’ennuient.
Lui, qui s’éclipse, toujours comme un sommeil qui s’enfuit.
Dans ses poèmes et ses chansons ; il me décrit.
Il me dessine comme la « Madone »
Ses mots sont l’œuvre de passion d’un érudit qui se déduit.
Entre ses mots voyagent mes mots qui cherchent, seulement un appui.
On se les prête, comme des bouquins, ça nous réjouit.
Des mots qui incarnent l’absence et le déni.

Que je transmets, avec la chaleur de mes mains.

Je ne ris pas toute seule, je fête avec elle.
Son heureux labeur, dans cette terre charnelle.
Mettre bas, quel exploit !…, il est né, ce monde cruel !
Que nourrit la tiédeur d’un souffle d’une volupté femelle.
Que de conquêtes ont fait voyages, entre les âmes, entre les corps
Qui se déchirent, entre les os, entre les chairs qui battent de l’aile.
Que de cruautés ont subit, les yeux des morts, toutes ces prunelles.
Enfin,repos dans la douceur des draps de terre, au teint vermeil.
Ce ne sont qu’un amas qu’on ramasse à la truelle.
Qui aura besoin, s’il est mort d’être un vivant, un éternel ?
Qui peut étreindre un cadavre, le caresser avec ses mains ?


Je ne m’éclipse pas toute seule car
Il y a moi car il y a nous et il y a vous,
Car il y a moi, tout comme vous et il y a
Lui et il y a ceux, qui se reconnaissent, aux pronoms
Qui peuvent répondre, à l’appel avec un « Non ».
Qui s’ensevelissent de vielles tempêtes comme un souvenir,
Pourrait ensevelir les dorures d’un ornement.
Prière de ne pas perturber nos doux sommeils.
Si nous dormons, ne venez plus nous réveiller car
Il ne reste du verbe « Avoir » que le creux qui creuse jusqu’au tronc.
Et il ne reste du verbe « être » que le passé d’un bon vieux « hêtre »
Qui a brûlé, avec ses feuilles et dont il ne reste que le tronc,
Et sur lequel, on a gravé noir sur blanc…
Nos deux pronoms… que nous effaçons, lentement
Avec la sueur refroidie, dans les sillons de nos vieilles mains.



Le 17/ 11/ 2013